Les marées noires oubliées du Delta du NigerArticle du 03 juin 2010, publié dans le journal anglais "The Guardian", par John Vidal.
Traduction : Courrier international (hebdo N° 1022)Depuis cinquante ans et dans le plus grand silence, le pétrole brut se déverse en flots continus et pollue cette région. En comparaison, la catastrophe du golfe du Mexique semble surmédiatisée. "Nous avons atteint les bords de la marée noire, près du village d’Otuegwe, après avoir longtemps marché dans les champs de manioc.
Devant nous s’étendaient les marécages. Nous avons senti le pétrole bien avant de le voir.
Une odeur infecte de garage et de végétation en décomposition imprégnait l’air.
Plus nous avancions, plus cette puanteur devenait insoutenable.
Un peu plus loin, nous avons nagé dans des flaques de brut léger nigérian, le meilleur du monde. Parmi les centaines d’oléoducs vieux de quarante ans et rongés par la rouille qui ont envahi le delta du Niger, il y en a un qui a déversé du brut pendant des mois.
Forêts et terres agricoles ont alors été recouvertes d’une couche brillante de liquide huileux. Les puits d’eau potable ont été pollués.
“Nous avons tout perdu : filets, cabanes, casiers de pêche…”, se souvient Promise, le chef du village d’Otuegwe, qui nous servait de guide. “C’est ici que nous pêchions et travaillions la terre. Nous avons perdu notre forêt. Nous avons prévenu Shell dès les premiers jours de la fuite, mais la compagnie n’a rien fait pendant des mois.”
De fait, la quantité de pétrole qui s’échappe chaque année des terminaux, des oléoducs, des stations de pompage et des plates-formes pétrolières dépasse de loin tout ce qui est en train de se déverser dans le golfe du Mexique, site d’une catastrophe écologique majeure provoquée par l’explosion de la plate-forme pétrolière Deepwater Horizon de BP en avril.
“Les compagnies pétrolières veulent notre mort” Ce désastre est abondamment couvert par les médias du monde entier.
Par contre, on a peu d’informations sur les dégâts infligés au delta du Niger. Pourtant, la destruction de la région donne une idée bien plus exacte du prix à payer pour le forage des puits de pétrole.
Le 1er mai, dans l’Etat d’Akwa Ibom, un oléoduc du groupe ExxonMobil s’est rompu, rejetant 4 millions de litres de brut dans le delta pendant sept jours avant que la brèche ne soit colmatée.
Les habitants ont manifesté contre la compagnie pétrolière, mais, à les en croire, ils se sont fait attaquer par les gardes. Les dirigeants locaux réclament maintenant 1 milliard de dollars [820 millions d’euros] d’indemnités pour les maladies contractées et la perte de leurs moyens de subsistance.
Rares sont ceux qui s’attendent à obtenir gain de cause. En attendant, la mer continue de déposer d’épaisses galettes de pétrole le long des côtes.
Dans les jours qui ont suivi la marée noire dans l’Etat d’Akwa Ibom, les rebelles s’en sont pris au pipeline Trans Niger de Shell, situé non loin de là, entraînant la fuite de milliers de barils de brut.
Quelques jours après, une vaste nappe de pétrole flottait sur le lac Adibawa, dans l’Etat de Bayelsa, et une autre à Ogoniland. “Les compagnies pétrolières n’attachent aucune importance à nos vies”, déplore Williams Mkpa, chef de village à Ibeno.
“Elles veulent notre mort. En deux ans, nous avons subi dix marées noires et les pêcheurs ne peuvent plus nourrir leurs familles ! C’est intolérable !”
Avec 606 champs pétrolifères, le delta du Niger fournit 40 % du total des importations américaines de brut.
(...)
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