Akon, les jeunes et le rêve de l’ailleursArticle tiré du blog du chroniqueur béninois Jérôme Carlos (Edition du 23 août 2010).Il est annoncé en fanfare. La star américaine d‘origine sénégalaise Akon est attendue le vendredi 27 août 2010 à l’aéroport international de Cotonou. Le lendemain, il se produira en concert. Ils sont nombreux les jeunes gens et les jeunes filles qui sont déjà dans la fièvre de cette rencontre inédite. Ils entendent la vivre comme un événement. Un de ceux qui marquent durablement une vie.
Pourquoi cette fascination pour un artiste que la plupart de ces jeunes compatriotes ne connaissent pas, ou connaissent à peine et qui ne sera pas moins accueilli par eux comme un messie ? Et dire que, pour ces jeunes, Akon, même dans leur proximité, le temps d’un concert, restera toujours un personnage lointain.
Akon est pour nos jeunes, le symbole de l’ailleurs, synonyme de autre part, c’est-à-dire un autre lieu que celui où l’on est. Et c’est justement cette distance dans l’espace qui explique la fascination et en ajoute à la fièvre d’une rencontre. Ce n’est ni Stan Tohon ni Sagbohan Danialou que les jeunes sont appelés à accueillir à l’aéroport de Cotonou. Ces deux-là sont Béninois comme eux, se nourrissent du même gari qu’eux.
Akon est d’origine sénégalaise. Mais nos jeunes ne s’attarderont point sur ce détail qu’ils lisent comme un simple accident de parcours. Ce n’est ni pour Youssou N’dour, ni pour Baba Maal qu’ils feront le déplacement à l’aéroport de Cotonou le 27 août 2010. Le Sénégal, c’est le début d’un ailleurs ou c’est un ailleurs inaccompli.
Akon a beau être d’origine sénégalaise, il est d’abord et avant tout, Américain, dans l’esprit de nos jeunes compatriotes. Mais il n’est pas un Américain, au même titre qu’un autre Américain, mais celui-là d’origine béninoise. Il s’agit de Djimon Hounsou, acteur de cinéma. Le Sénégalais a troqué son patronyme de Thiam contre son nom d’artiste Akon. Il s’est ainsi fait un Américain complet et un homme de l’ailleurs accompli. Hounsou est, certes, Américain. Mais, dira-t-on, on l’a connu ici, avant qu’il ne prît le large. Le nom Djimon Hounsou qu’il continue de porter ne le change pas d’un Tohon ou d’un Sagbohan. C’est l’un des nôtres.
Les jeunes gens et les jeunes filles qui se précipiteront à l’accueil et au concert du grand artiste américain, Akon, sont, pour nous, dans leur immense majorité, la figure vivante de l’ailleurs. Mais de quoi s’agit-il ? L’ailleurs, c’est la vision qu’une certaine jeunesse de notre pays a d’elle-même, a de son présent et de son avenir. L’ailleurs traduit ainsi le rapport de cette jeunesse à son pays, à sa culture de base, à ses réalités quotidiennes, à ses valeurs cardinales. Pour cette jeunesse, l’ailleurs, à la fois symbole et idée, traduit au moins trois modes de perception du monde autour d’elle.
L’ailleurs, d’abord, évoque une idée de distance. Nous l’avions défini, au départ, comme un autre lieu que celui où l’on est. Pour dire que des milliers de nos jeunes sont physiquement avec nous, mais n’ont plus grand-chose avoir, grand-chose affaire avec nous. Dès lors qu’ils ont déjà exporté sous d’autres cieux, en tout cas très loin, leurs espoirs et leurs rêves d’accomplissement. Et plus cet ailleurs de leur rêve est loin, moins il est raisonnablement contrôlable et plus grande est l’illusion qu’il entretient dans leur esprit. Aussi beaucoup de ces jeunes ne se sentent plus qu’en escale technique sur le sol de leur pays, guettant la moindre occasion pour prendre le large et se fondre dans une « aventure ambiguë ». Voilà le carburant de nos émigrations, de nos exodes et de nos exils.
L’ailleurs, ensuite, ne va pas sans une certaine idée de mystère. Car, pour cette jeunesse, moins c’est accessible, plus c’est flou et plus grand est l’attrait de l’inconnu. En effet, tout ce que cette jeunesse vit et sent, c’est du déjà vu, c’est du passé, c’est dépassé. Cette jeunesse n’a d’yeux que pour l’Autre, symbole de la réussite et du succès, de l’abondance et de la richesse. Elle n’a plus d’attention que pour la culture de l’Autre, les valeurs et les normes de l’Autre. C’est la quête d’un paradis qu’on croit être ailleurs, parce qu’on a définitivement renoncé à participer à en construire un chez soi. C’est la source de nos complexes d’infériorité, de notre manque de confiance en nous-mêmes, de toutes nos démissions et compromissions.
L’ailleurs, enfin, se confond avec le merveilleux, parce qu’il est vécu comme un conte qui projette un héros au pays de l’or, oubliant que tout ce qui brille n’est pas or. L’ailleurs est un décollage du réel, du sol concret des réalités. Toutes choses qui trouvent à se concrétiser chez nombre de jeunes par l’usage et par l’abus de drogues ou de toutes autres substances psychotropes agissant sur la vie psychique des individus.
Quant à nous, revenons sur terre. Revenons de l’ailleurs où nous avons été entraîné, pour être présents, les yeux ouverts, sur le sol de notre pays. Nous pourrons ainsi, par anticipation, souhaiter la bienvenue à Akon, pour un séjour de rêve dans notre beau Bénin.
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