Silence, l’Université fout le camp !Article tiré du blog du chroniqueur et journaliste béninois Jérôme CARLOS (Edition du 12 août 2010).Un chiffre, un fait. Le chiffre, c’est que 55% de nos compatriotes qui sortent de l’enseignement supérieur n’ont une autre issue que d’aller grossir les rangs des chômeurs et des demandeurs d’emploi.
Le fait, c’est que avec le manque plutôt criard d’amphithéâtres à l’université, les autorités de notre pays promettent d’expérimenter des tentes sur le campus d’Abomey-Calavi.
Ces amphis, d’un genre nouveau, vont servir d’espaces d’enseignement et de travaux dirigés aux enseignants et aux apprenants.
Le pourcentage des étudiants qui sortent de l’université pour rentrer dans le tunnel du chômage n’est pas sans inquiéter.
Cela pose la question de l’utilité d’une structure devenue une tumeur cancéreuse au cœur du corps social.
Meubler son esprit d’un savoir, se donner des capacités et des habiletés déterminées et se voir déclaré forfait à l’orée de la vie active, cela oblige au triste constat d’un monumental gâchis.
Les tentes proposées en lieu et place des infrastructures régulières et opérationnelles, pour masquer une pénurie devenue criarde, ne constituent qu’un palliatif.
Le mal auquel on s’attaque verra sûrement ses symptômes s’atténuer. Mais il ne gardera pas moins intacte sa force de nuisance.
Il s’agit de différer sans guérir, de calmer sans remédier, de se placer en situation d’avoir à choisir entre la peste et le choléra.
Evidemment, dans la perspective du développement d’un pays comme le nôtre, aucun citoyen sain d’esprit ne peut accepter que l’université qui est et qui doit rester un haut lieu du savoir, renvoie à la société qui l’abrite des images aussi négatives d’elle-même.
L’image d’une usine à fabriquer des chômeurs et des sans emploi. L’image d’un camp de réfugiés, peuplé de tentes et d’abris provisoires.
L’image d’un grand bazar à ciel ouvert. Que de crimes commettons-nous, chaque jour, contre l’Université ?
Retenons-en quelques uns.
D’abord, l’Université comme un simple attribut extérieur de la souveraineté. Nombre de nos pays ont conçu l’Université comme une simple toiture.
Celle-ci vient parachever en la couronnant la construction d’une maison. Ces pays ayant déjà, sur place, les autres ordres d’enseignement, ont jugé utile d’ajouter à leur système éducatif formel le dernier chaînon manquant, le supérieur.
Cela s’était fait en toute bonne foi, par orgueil nationaliste, au nom de la souveraineté formelle d’un Etat indépendant.
Pourquoi ne pas s’offrir son université nationale, dès lors qu’on s’est donné un hymne national, un drapeau national, une devise, et qu’on a acquis un strapontin dans la communauté onusienne des Etats du monde ?
Avoir une Université relevait ainsi d’une démarche logique et pertinente. Il fallait construire des bâtiments, placer une enseigne à l’entrée, recruter des enseignants, parquer les apprenants dans les diverses filières ouvertes.
L’Université prend ainsi place comme une très banale réalisation dans la chaîne des ouvrages qui jalonnent les chemins sous-développés de nos indépendances.
Au même titre qu’un pont par-ci, qu’une digue de retenue d’eau par là, ou qu’un stade plus loin.
Ensuite, l’Université comme un camp de transit en attendant l’insertion possible de certains de nos jeunes gens et de nos jeunes filles dans la vie active.
L’université tient ainsi le rôle d’un bassin destiné à recevoir des bacheliers. Ceux-ci, en quelques années, s’enfoncent dans l’illusion qu’ils sont promis d’être les grands cadres du pays, après qu’ils se furent essoufflés à conquérir des diplômes visas pour cette promotion sociale rêvée.
Mais, on en est vite revenu depuis que de jeunes médecins chôment, au terme d’un cursus à évaluer et à apprécier à Bac + 12.
On en est vite revenu depuis que d’anciens pensionnaires de nos cités universitaires, leurs diplômes en poche, n’ont rien trouvé à faire que d’enfourcher une moto et d’aller grossir les rangs déjà pléthoriques des conducteurs des taxis motos.
Enfin, l’université comme l’antichambre des centres ou des cercles du pouvoir politique.
C’est un peu le vivier où l’on vient chercher, dans les rangs des enseignants, des conseillers techniques, des chargés de mission, des directeurs généraux, voire des ministres.
On se fout royalement que cette ponction inconsidérée dans le corps enseignant laisse des centaines d’étudiants sans encadreurs, désorganise ou paralyse des filières entières. Et l’enseignant résiste rarement au chant des sirènes.
Parce qu’il n’est pas motivé par son statut social. Parce qu’il n’est pas accompagné matériellement par un salaire décent. Parce qu’il n’est ni intellectuellement ni scientifiquement assisté, faute d’un environnement constitué, en l’absence de bibliothèques à jour ou des structures de recherche digne de ce nom.
« Sans tuteur, disent les Malinké, l’igname ne peut grimper »
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